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Lettre à ma grand-mère


A l’occasion de Noël, j’ai retrouvé une lettre – écrite il y a environ 65 ans – par ma grand-mère à sa belle-sœur.

C’était un hiver à la fin des années 50, il faisait froid, la neige tombait à Paris et le virus de la grippe avait cloué au lit le petit dernier (mon père) et bloqué par la même occasion ma grand-mère à la maison.


Quatre pages écrites sur près d’une semaine, d’une belle écriture serrée que seuls les stylos plumes de l’époque étaient capables de restituer. Quatre pages de bavardage, comme une conversation avec une amie.

Une conversation où elle parlait de son quotidien, de choses anodines comme d’autres plus importantes :



- de son cadet qui sortait progressivement d’une longue dépression, - du plaisir d’une mère de revoir le sourire d’un fils, et de réentendre ses garçons chahuter, - de l’angoisse de savoir son ainé parti en mobylette dans les rues verglacées de Paris, - des problèmes professionnels de mon grand-oncle avec son patron, de sa frustration et de ses projets de création

d’entreprise - de sa belle-mère, malade, dont il fallait s’occuper, - de son épuisement après une journée consacrée aux tâches ménagères, - des allées et venues dans la maison au fil de la journée et de la lettre, - des repas à préparer, - du plaisir simple de recevoir un paquet de café ou une nouvelle gaine, - du moment de répit quand enfin la maison se vide et que les enfants partent à l’école et son mari au travail ….


Nous avions exactement le même âge, 48 ans.


En lisant cette lettre je ne sais pas ce qui m’a le plus troublée.


Le fait que, 65 ans plus tard, nos problématiques soient finalement toujours les mêmes : les enfants, qu’on aime et qui pourtant nous épuisent, les taches ménagères qui occupent trop de place dans notre journée, les petits plaisirs de la vie comme une bonne tasse de café ou un nouveau vêtement.


Ou peut être juste la liberté avec laquelle elle en parlait.


J'ai toujours eu l’image de nos grands-mères comme des femmes dociles et soumises dont la principale source de satisfaction était le bonheur de leur famille et la propreté de leur foyer.

J’avais l’impression d’être la première génération à assumer mes contradictions : aimer mes enfants mais parfois ne plus les supporter, vouloir être la fée de la maison qui pose un bon repas sur la table tous les jours, mais pourtant me transformer en sorcière quand je dois le préparer, vouloir une carrière, une famille, des responsabilités mais également du temps libre, être indépendante mais avoir un mari qui m’aime et me protège, ne devoir rien à personne et pourtant rechercher toujours l’approbation des autres.


Surement nos grands-mères étaient déjà des femmes modernes, et c’est peut-être juste l’époque qui ne l’était pas.

Mais au-delà de tout cela, ce qui m’a probablement le plus troublée c’est de partager une semaine de la vie de ma grand-mère que je n’ai pas vraiment connue.

Jusqu’alors je n’avais que quelques photos d’elle, une belle femme blonde, généreuse et rayonnante, et le temps d’une lecture j’ai pu voir ces photos prendre vie et me donner l’illusion de l’avoir connue un peu.



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